La nutripsychiatrie. Pourquoi et comment nourrir votre mental - Introduction

Publié le par Anne Bernard

Extrait du livre de Veronica Van der Spek
à paraître chez De boeck, second semestre 2009

Introduction générale 

Qui n’a pas encore entendu parler des maladies de pléthore dont souffrent les occidentaux ? Diabètes, maladies cardio-vasculaires, cancers sont devenues les causes principales de mortalité. Elles ont comme facteurs aggravants l’excès de calories, de sucre, de graisses et/ou leur corollaire, l’excès de tension, la vie sédentaire. Statistiques à l’appui, l’obésité gagne du terrain comme une véritable épidémie, avec son cortège de pathologies graves, voire mortelles. Comme elle accentue les risques de mort prématurée, son impact sur l’espérance de vie des individus commence à se faire sentir. En Australie et aux Etats-Unis, l’obésité s’est tellement répandue parmi les jeunes générations que, si la situation s’aggrave encore, ce seront bientôt les parents qui verront mourir leurs enfants.

À ces maladies somatiques maintenant bien connues, s’en rajoutent d’autres plus insidieuses encore : les maladies mentales qui affectent notre cerveau et notre personnalité de façon encore plus déstructurante. Outre la maladie d’Alzheimer dont on parle beaucoup et qui rentre dans la famille des troubles de la mémoire, de plus en plus d’individus souffrent de stress chronique, d’anxiété, de dépression, de troubles du sommeil, de troubles de la personnalité, de troubles de l’attention, de troubles du comportement alimentaire. Tout cela bien souvent à bas bruits, sans une réelle mobilisation contre ces phénomènes ni analyse globale.

Il est vrai que, depuis un demi-siècle, l’environnement dans lequel nous vivons s’est fort modifié. Que se soit dans la rue, au volant d’une voiture, à la maison ou dans le cadre professionnel, il nous interpelle continuellement et nous envoie d’innombrables signaux sonores, visuels ou informationnels que nous devons décoder et assimiler. Sans que nous ayons de vraies raisons de nous sentir menacés, il mobilise néanmoins notre attention, génère d’incessants mini-stress qui en appellent à notre capacité d’analyse ou de jugement et suscitent une réaction. La charge émotionnelle de ces signaux, contre laquelle il n’est pas facile de résister, explique en partie l’irritabilité croissante dans notre société contemporaine. Elle peut parfois déboucher sur une violence incontrôlée, des angoisses, une excitabilité exacerbée, une fatigue mentale, ou, tout simplement de multiples questionnements devant les progrès technologiques et scientifiques, les tourbillons incessants de la vie, les nouveautés en tout genre, la course à la performance.

Si l’on prenait le temps de nous regarder fonctionner en société, nous verrions à quel point cette dernière nous fait tourner fous. Ainsi, nous mangeons une alimentation plus riche alors que notre vie sédentaire rend notre organisme moins avide d’énergie. Nous avons abandonné des bonnes habitudes alimentaires pour en adopter des mauvaises, ce qui est le comble, si l’on admet que le progrès vise en général à aller vers du mieux. Nous consommons de plus en plus de somnifères pour nous aider à dormir alors que nous sommes devenus si réfractaires à aller nous coucher. Nous disposons d’un système de santé performant et nous voilà toujours plus malades. Nous cultivons la peur du manque alors que nous n’avons jamais vécu dans une aisance matérielle aussi importante. En Belgique, nous vivons en paix depuis plus de cinquante ans (jamais trêve ne fut aussi longue dans l’histoire de notre pays), nous sommes protégés par des droits, mais nous craignons souvent de croiser le regard de notre voisin. Nous nous entassons de plus en plus nombreux dans des métropoles géantes, et nous n’avons jamais été autant isolés au niveau social. L’espérance de vie n’a jamais été aussi élevée, la mort si bien prise en charge, et nous si démunis par rapport aux questions existentielles. Globalement le système nous offre la possibilité individuelle d’agir selon notre conscience et notre volonté, et pourtant, nous nous sentons confusément menacés dans notre intégrité…

L’image qui me vient à l’esprit pour décrire ce qui nous arrive est celle d’un puits sans fond que nous ne cessons d’alimenter sans atteindre l’état de bien-être physique et mental auquel nous aspirons. D’ailleurs, les médicaments les plus prescrits sont les anti-cholestérols, les anti-hypertenseurs, les anti-diabétiques, les anti-dépresseurs. Ces anti-quelque-chose ne traitent pas les causes des problèmes, mais ne servent qu’à continuer de mal vivre, sans remettre en question la manière de consommer et de traiter le corps. Ils sont un palliatif à notre incapacité de changer notre mode de fonctionnement et le reflet d’une société qui, parce qu’elle est riche et développée, peut se permettre bien des paradoxes.

Sans chercher à définir qui est responsable de cet état de fait, il faut bien reconnaître que, dans notre quotidien, rares sont les moments où nous nous donnons l’occasion de mettre notre cerveau et le reste du corps au repos ! Nous ne prenons plus le temps de ne rien faire, nous asseoir au bord du feu pour se raconter des histoires comme cela devait être autrefois le cas les longues soirées d’hiver. Or, le stress à outrance sans modération est d’autant plus dommageable qu’il altère notre perception du monde environnant, nos capacités de jugement, nos émotions, nos comportements. On pourrait dire qu’il finit par nous ronger de l’intérieur au point de perturber les systèmes physiologiques de base. Aujourd’hui, il est accusé, et à juste titre comme je le lis de plus en plus et le constate aussi dans les faits, de constituer un facteur déterminant dans bien les maladies auto-immunes, les cancers, les maladies cardio-vasculaires mais aussi, la dépression, les troubles cognitifs ou de l’apprentissage…

 

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Les médias nous entretiennent régulièrement sur les méfaits de la malbouffe, du grignotage continuel, du tabac, de l’alcool, de la vie trop sédentaire, de l’agitation inutile, de l’excès de télévision, etc. Pour rester en bonne santé, il faut suivre un régime alimentaire sain, prendre des repas réguliers et équilibrés, ne pas fumer, ne pas trop boire d’alcool, faire plus de sport, préférer la marche à la voiture, respecter les cycles biologiques du sommeil. Mais voilà, plus facile à dire qu’à faire dans notre société de consommation ! Surtout lorsqu’il ne s’agit pas d’appliquer ces principes une fois de temps en temps, mais bien de les inclure dans une hygiène quotidienne supposant alors un changement plus radical de mode de vie. Surtout aussi lorsque les mêmes médias nous assomment de publicités tentatrices dont le but recherché est de nous faire acheter tout ce qui justement est une entorse à notre bonne santé.

Mais alors, pourquoi ne résiste-t-on au sucré ou aux mauvaises graisses ? Pourquoi est-on si vite fatigué, si vite excédé ? Pourquoi n’arrive t-on pas à contrôler nos désirs au point de se sentir mal physiquement et même mentalement ? Pourquoi a-t-on envie de fumer ? Pourquoi de telles pulsions ? Pourquoi et au final, comment nourrir notre mental de telle sorte que nous soyons bien dans notre corps ?

La réponse n’est certainement pas unique. Elle dépend des individus mais aussi des outils d’observation que l’on utilise. Selon le courant psychanalyste, les explications sont d’ordre psychologique. C’est dans l’histoire familiale que l’on peut comprendre les traits de caractère des personnes, l’origine de toutes leurs pulsions et, éventuellement soigner leurs pathologies mentales. Comme Freud l’a analysé en son temps, la manière dont se déroulent les phases de développement chez l’enfant est déterminante, par le biais de l’inconscient, des comportements tout au long de la vie. En particulier, des comportements qui ont trait à la nourriture.

Beaucoup plus récemment, le courant biochimique s’est intéressé au métabolisme du cerveau, décryptant peu à peu les fonctionnements physiologiques de la mémoire, des comportements pulsionnels ou de l’apprentissage. Il s’est également intéressé au terrain génétique des maladies mentales, mettant en évidence certaines altérations chromosomiques à l’origine de vulnérabilités individuelles. Ainsi, peu à peu, les 10 ou 20 milliards de neurones qui cohabitent dans le cerveau humain livrent leurs secrets. Leur spécificité, leur câblage et leur chimie jouent un rôle fondamental dans l’apparition et le développement des troubles qui affectent le mental et les émotions des individus.

La vérité n’est ni d’un côté ni de l’autre. N’en déplaisent à Woody Allen, le vécu d’un patient ne détermine pas à 100% son état présent et à venir. Tout comme la neuroscience, aussi révolutionnaire soit-elle quant à la connaissance du cerveau qu’elle apporte, ne remplacera pas la psychanalyse ou la thérapie psychologique. D’ailleurs, les connexions « sauvages » que les neurones pratiquent, de préférence la nuit, à l’insu de notre plein gré, n’ont pas fini de faire naître chez les individus des histoires qui alimentent ce que certains d’entre eux ne manquent pas, le jour, de raconter à leur psychanalyste ! Pour ma part, j’ai croisé de multiples cas où il était possible de donner des explications biochimiques et métaboliques aux troubles d’un patient sans répondre pour autant à toute sa problématique. La fatigue par exemple peut relever d’aspects physiologiques -la nutrition, le sommeil (en quantité et en qualité)- ou d’aspects psychologiques -l’état dépressif, notamment- qu’il faut pouvoir traiter conjointement si l’on veut obtenir des résultats probants.

En tant que psychiatre, j’ai eu l’occasion de constater combien la malbouffe était inséparable du mal-être physique et mental. J’ai aussi remarqué qu’il y était possible d’aider les individus à avoir une meilleure santé en leur apportant une autre manière de s’alimenter. De ce point de vue, l’approche nutritionnelle dans ses fondements biochimiques me semble devenir un passage de plus en plus incontournable d’une démarche médicale cohérente. Tout comme une voiture s’encrasse et toussote si on lui met de la mauvaise essence, le corps fait toutes sortes de petits malaises s’il n’est pas bien entretenu ou s’il ne « carbure » pas avec les nutriments dont il a vraiment besoin. A fortiori le cerveau fonctionne moins bien et perd en capacités cognitives et créatives, en intelligence, en mémoire. C’est tout du moins ce que je tente d’expliquer à certains de mes patients.

Cependant, devant l’évolution alarmante de la malnutrition en Occident, je ne peux réprimer une envie d’exprimer plus largement ce que j’ai constaté dans ma pratique professionnelle. Car, changer des mauvaises habitudes alimentaires, lorsque celles-ci s’inscrivent dans un modèle de société, dépasse les rapports privilégiés que je peux entretenir avec quelques patients dans le cadre de consultations privées. Le problème exige une prise en considération plus globale. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’écrire ce livre.

Néanmoins, malgré tout le respect que je dois à Freud et au courant psychanalytique, j’ai choisi de totalement l’occulter dans ce livre. La biologie cellulaire avec ce qu’elle a de rébarbatif et de barbare pour le profane me paraît un champ d’investigation suffisamment vaste pour lui consacrer l’entièreté de ses pages. Elle constitue une clé de lecture nouvelle pour comprendre comment notre santé peut jouer un rôle sur nos émotions. Et surtout, elle offre une approche plus holistique des maladies, tant physiques que mentales, en étudiant les relations entre le comportement, la fonction immunitaire et l’alimentation.

 

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Il serait trop facile de croire que les individus cèdent au sucre ou aux mauvaises graisses par simple manque de volonté. Ou qu’il leur suffirait d’activer leur conscience pour qu’ils contrôlent leurs pulsions. De tout temps d’ailleurs, l’homme a été agité par des pulsions sans pour autant développer les maladies de pléthore telles que nous les découvrons aujourd’hui. La difficulté résiderait plutôt dans le fait que notre mode de vie occidental exacerbe ces pulsions sans donner les clés qui permettraient de les canaliser. Ces clés existent pourtant et je me propose de les décrypter tout au long de ce livre.

L’importance de la nutrition pour la santé vient du fait que l’homme est hétérotrophe, c’est-à-dire que l’énergie et les molécules dont il a besoin pour vivre lui sont apportées par d’autres organismes vivants. C’est dans ce qu’il mange qu’il trouve les nutriments nécessaires à son bon fonctionnement physiologique. Ce qui paraît simple à concevoir ici ne l’est pourtant pas, même pour le corps médical. La nutrition est encore une discipline peu enseignée et, je regrette que la majorité des patriciens ne fassent pas le lien entre l’alimentation et certaines pathologies de leurs patients. Ainsi, une dépression est soignée généralement par des substances chimiques alors que, souvent, il y a moyen d’obtenir des résultats tout aussi satisfaisants par un régime alimentaire approprié. J’en ai fait l’expérience à maintes reprises auprès de mes propres patients.

Environnement plus stressant, réactions métaboliques et physiques, maladies de pléthore avec terrain pro-inflammatoire, et finalement développement de troubles mentaux, tout apparaît lié et susceptible d’être mieux gérés par une autre manière de se nourrir. Or, si dans le domaine alimentaire, des changements conséquents ont bien eu lieu au cours des dernières décennies, on peut hélas regretter qu’ils ne se soient pas produits dans le sens à améliorer le bien-être des individus.

Les industries agro-alimentaires, en se basant sur la palatabilité, c’est-à-dire sur ce qui nous provoque du plaisir et réveille nos pulsions basiques, ont développé toute une série de produits tentants mais contre-productifs sur le plan nutritionnel. Bonbons, biscuits, sodas, ont alors répondu à cette appétence pour le sucre que l’homme a naturellement mais qu’il ne pouvait satisfaire, il y a encore une soixantaine d’années, faute de produits. Les industries agroalimentaires se sont également ruées sur le créneau des plats préparés répondant ainsi à un désir d’émancipation de la ménagère qui ne voulait plus passer de temps dans sa cuisine. La restauration rapide et la multiplication des lieux de consommation ont fait le reste. Mais, si ces plats préparés respectent une sécurité sur le plan de l’hygiène, ils s’avèrent nuisibles à long terme sur le plan nutritionnel dans la mesure où ils contiennent généralement trop de mauvaises graisses et de mauvais hydrates de carbone, favorisent des terrains inflammatoires.

Les conséquences sur la santé sont d’autant plus lourdes que tous ces produits des industries agroalimentaires (que notre société nous avait présentés comme un progrès) ont suscité des dépendances, transformé des comportements alimentaires et le rapport à la nourriture, dispersé des traditions culinaires, fait disparaître un certain art de la table. Il sera maintenant bien difficile d’inverser le processus. Deux générations ont suffi pour désapprendre la manière de préparer des aliments de base comme les légumes… Combien en faudra-t-il pour réapprendre ce qui a été si vite perdu ?

Je n’ai pas voulu écrire ce livre comme une dénonciation supplémentaire qui s’attaquerait aux méfaits de notre modèle de consommation et au contenu de nos assiettes. Je suis médecin et non journaliste d’investigation ou contestaire à tout crin. Par ailleurs, ce livre n’est pas non plus un inventaire de régimes qui se contenterait de donner les trucs pour rester minces et en bonne santé. Ma priorité ne consiste pas à soulever les problèmes ou à leur donner un sens particulier. Il s’agit pour moi de soulager les individus des maux qui les font souffrir et, dans le meilleur des cas, de les aider à s’en prémunir. Quel que soit le domaine d’investigation, la meilleure manière de rendre les personnes proactives, consiste à leur donner les clés de compréhension des phénomènes qui les entourent ou qui les affectent. Car, c’est lorsque l’on a compris l’intérêt ou le bien-fondé des choses que l’on peut commencer à les appliquer. La santé ne déroge pas à la règle et, aussi éclairés soient-ils, les conseils d’un médecin ne servent à rien, s’ils ne sont pas accompagnés d’un minimum d’explications. Aussi, je me propose d’expliquer ici le fonctionnement du cerveau afin de comprendre pourquoi et comment il est si important de bien lui apporter les bons aliments dont il a besoin.

Si le système médical continue trop souvent de cloisonner les disciplines - médecine, psychiatrie, nutrition – il est grand temps de réunifier toutes ces approches et d’aborder les maladies mentales aux travers des multiples interactions entre le cerveau, le système immunitaire, le tube digestion.



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